Vincent Guerrere, Président de la société Sima-Pecat Guyane
La démographie galopante de la Guyane et le retard sur son développement endogène, et notamment sur sa production agricole, nécessitent l’aménagement de nouvelles terres agricoles pour espérer assurer une certaine autonomie alimentaire à moyen terme de ce territoire isolé de la métropole.
L’installation de jeunes agriculteurs et l’extension des fermes existantes sont donc des étapes de développement préalables et nécessaires au développement agricole de la Guyane.
Et, pour Vincent Guerrere, spécialiste des questions agricoles et forestières en Guyane et aux Antilles, la Girardin Agricole est devenue un levier économique majeur. Il a bien voulu répondre aux questions de DOM COM INVEST.
Comment se présente aujourd’hui l’installation des agriculteurs en Guyane ?
L’installation agricole en Guyane est très spécifique et ne peut être comparée à aucun autre territoire français, qu’il soit en métropole ou ultramarin. Tout d’abord, c’est une région particulièrement dynamique et les jeunes agriculteurs affichent, une vraie volonté de développement et d’entreprenariat. Ensuite, elle repose sur deux difficultés majeures :
1 – Comme plus de 90 % du territoire relève du domaine privé de l’Etat, l’accès au foncier passe quasi systématiquement par un bail emphytéotique et des procédures administratives très complexes. La cession ou la vente définitive du terrain ne peut en théorie arriver que lorsque la mise en valeur par l’agriculteur est effective.
2 – Toute installation ou extension se fait sur la forêt. Tout doit donc être créé en partant de rien.
Il y a une réelle volonté des pouvoirs publics et de la Collectivité Territoriale de Guyane de renforcer ce pilier économique que représente l’agriculture. A titre d’exemple, environ 60 000 hectares ont été attribués par le Domaine entre 2001 et 2009, et les dernières mesures adoptées ou en cours d’adoption suite aux événements du ce printemps 2017 vont dans ce sens. Toutefois, autant du côté des services de l’Etat qu’au niveau des collectivités territoriales, les niveaux techniques permettent difficilement d’organiser et de planifier des aménagements agricoles en cohérence et au service des agriculteurs. Ces derniers doivent bien trop souvent compter exclusivement sur eux pour assurer l’accès et l’aménagement initial de leurs terrains, et on ne parle pas encore de planter pour produire !
Le poids de l’administration est-elle la seule difficulté ?
Non, pas du tout ! Une fois que vous avez enfin obtenu votre terrain et votre Bail vous autorisant à aménager, l’aventure ne fait que commencer… Place aux tronçonneuses, pelles, camions… pour réaliser votre défriche, vos pistes, vos canaux, vos ponts, vos bâtiments, etc. Comme je l’ai évoqué, toute nouvelle terre doit être « aménagée » sur de la forêt. En Guyane on est forestier et BTP, avant de pouvoir enfin être agriculteur. Aussi, la création d’une exploitation agricole est coûteuse, longue et difficile. Elle peut s’étendre sur plusieurs années et même ne jamais aboutir car le jeune s’essouffle.
A ce titre, sur les 60 000 ha précités et attribués entre 2001 et 2009 par le Domaine, la DAAF et la Préfecture avaient publiés en 2012 que seulement 3400 ha de SAU avait été créées, que 14 000 ha avaient été déforestés sans preuve de mise en valeur agricole à cette date et donc que plus de 2/3 des surfaces n’avaient pas encore été valorisées
De nombreux porteurs de projets n’ont pas toujours conscience des difficultés à s’installer. Il faut faire tomber les arbres, créer des pistes, construire des bâtiments… Cela demande un travail énorme et des financements adéquats pour enfin pouvoir avoir un terrain prêt à la culture ou l’élevage.
La communauté Hmong rencontre-t-elle le même type d’obstacles ?
Absolument, ils sont concernés comme tous les autres. Néanmoins, ils présentent trois différences majeures qui ont pour conséquence un plus grand taux de succès chez eux. Tout d’abord, ils ont conscience des difficultés car leurs parents et leurs aïeux sont passés par là. A leur arrivée dans les années 70, ils se sont trouvés face aux mêmes difficultés et n’avaient pas d’autres choix que de s’en sortir. Et quand on voit le résultat aujourd’hui… Ensuite, la notion de communauté et surtout de famille fonctionne pleinement chez eux. Ils savent donc bien conseiller les jeunes et les aider dans leur projet. D’ailleurs ils ont une vraie politique et comptabilité des services rendus entre maisons.
Enfin, ils ont un fonctionnement que nous pourrions qualifier de « capitaliste ». Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’un parti pris idéologique mais ce qualificatif est tout à leur avantage. Ils savent très bien gérer les projets et les sources de financements. Ils s’engagent rarement à la légère et savent bien ce qui rapporte. Ils connaissent parfaitement les rouages des aides européennes par exemple. En outre, ils adhèrent parfaitement au mécanisme des aides ou de la défiscalisation. Ce qui a pour conséquence un taux de succès important et une vraie confiance que leur accordent leurs partenaires.
En quoi un dispositif comme la Girardin agricole est important ?
Il est même indispensable ! La Girardin agricole constitue un levier très intéressant qui mérite encore d’être cadré et ouvert à de nouveaux produits / services aux agriculteurs. Les aides européennes, par exemple, sont complexes, peu flexibles et longues. Il faut monter des dossiers parfois lourds au niveau pièces administratives pour justifier de l’investissement, il faut faire l’avance de trésorerie, il faut assurer un reporting financier et comptable détaillé, il faut attendre plusieurs trimestres voire semestre la subvention…
La défiscalisation, qui est assimilée ici à une subvention privée, est beaucoup plus réactive et mieux adaptée aux contraintes d’un agriculteur (et du territoire). Par exemple, le financement de pistes, canaux et pâtures répond pleinement à ces besoins. Et c’est assez vrai que ces projets jouissent d’un meilleur taux de réussite au regard d’autres secteurs économiques.